Ce 24 mars, Sédhiou a 186 ans ! – du moins, si l’on prend référence à partir de l’histoire écrite de sources françaises. En s’appuyant sur ces sources concordantes et à foison, c’est exactement en ce jour de l’année 1837 que Sédhiou a été fondée. Toutefois, cette historiographie côtoie, en parallèle une légende et un mythe fondateur bien ancrés dans les consciences populaires. Ce qui crée une sorte d’ imbroglio, disons historico-mytho-legendaire ! Le mot n’est pas de trop; il est même très chargé ! De ce point de vue, essayons de démêler cet enchevêtrement en règle dès qu’on touche les fondements de Sedhiou.
NAISSANCE DE SEDHIOU : L’HISTOIRE
L’histoire de la création de Sédhiou ne coïncide pas avec celle ordinaire des autres localités. Pour dire vrai, c’est à la suite d’une … ruse que la capitale du Pakao fut créée ! Pour être on ne peut plus clair, disons que Sédhiou est née des flancs de Bakoum du fait d’un redoublement de ruses entre le souverain de Boudhié et Dagorne.
Bakoum fut fondé par le chef baïnouck du nom de Bounkily Danfa qui – selon le manuscrit de Badio Danfa – serait originaire d’Iran (?!!!). Le fondateur de Bakoum fut succédé à sa disparition par son fils Simbi Djimbi Danfa, lui-même commuté à sa mort par son fils Mansa Bodian. C’est ce dernier qui conclut un accord en 1837, accord qui jettera les bases de la fondation de Sédhiou. C’est Mani Danfa, fondateur de Pathiabor – qui deviendra le 1er quartier ( ?!) de Sédhiou – qui avait la responsabilité sur les terres de la bordure du fleuve qui se chargera de matérialiser l’accord d’occupation.
Moins d’un an seulement après cette entente, un autre français, originaire d’Alsace-Lorraine et riche commerçant, s’intéressera à Sédhiou. Jules Roth (ou Jules le Gars), puisque c’est de lui qu’il s’agit, conclut l’occupation d’un 2e espace à quelques encablures de Pathiabor, espace qui deviendra Julescounda, 2e quartier de Sédhiou.
Sous l’approbation du gouverneur d’alors, Guillet, Dagorne et la commission du même nom avaient quitté Gorée le 14 mars 1837 à bord de l’Aigle d’or. A son arrivée, il conclut une convention de cession de terrain avec le souverain du Boudhié pour des dimensions de 250 mètres de long sur 100 mètres de large près du fleuve moyennant une coutume annuelle de 39 barres qui équivalaient à …196 francs !
De retour en début mai, Dagorne eut la surprise de sa vie : le souverain avec lequel il avait passé l’accord ne régnait plus puisqu’il n’était plus en vie ! Le désormais maitre des lieux et le Alkalo de Sédhiou du nom de Souleymane foulèrent au pied le traité et donnèrent l’impression de faire affaire avec des commerçants anglais établis en Gambie. La tactique fonctionna à merveille : les français accédèrent à leurs requêtes, de peur que les Anglais signassent, en premier, avec le souverain.
Finalement, donc, Dagorne et sa commission se plièrent aux exigences du grand négociateur de Bakoum qui exigea un nouveau traité et consentirent à verser à chaque mois d’avril, jusqu’à 5 ans, une coutume de 39 barres répartis ainsi qu’il suit : 30 barres pour le Mansa, 5 en faveur de Alkalo, 3 pour l’envoyé du roi et 1 pour l’envoyé de Alkalo. L’accord fut conclu le 3 avril 1838, 2e date de naissance de Sédhiou (ou date de naissance sur « jugement » si vous voulez). Dès lors, ils pouvaient mettre en valeur l’espace acquis devenu le Fort Pinet Laprade.
C’est le capitaine Pavent d’Augsbourg qui avait dessiné les 1ers plans de ce qu’est devenu le Fort avant que le colonel Tessier, directeur du dépôt et des fortifications fît le 2e plan, plus ambitieux et qui se rapprochait des édifices bâtis par les anglais. La construction du Fort débuta en 1838 et se termina en 1844.
NAISSANCE DE SEDHIOU : LA LEGENDE
Vous connaissez tous cette boutade de John Ford devenue culte : « Si la légende est plus belle que la réalité, choisissez la légende » ! Cette sentence pourrait trancher sur la prééminence entre l’histoire et la légende en ce qui concerne la fondation de Sédhiou. Sédhiou est née des flancs de Bakoum – comme Athéna du crâne de Zeus ! Bakoum fut la capitale du Boudhié, seul canton qui survit de manière prodigieuse à la malédiction du roi Gana Sira Biaye. Ce dernier mort à la suite d’un piège ourdi par ses proches, avait maudit son peuple avant son ensevelissement. Le royaume baïnouck ne se relèvera jamais de la conspiration contre son chef. Sauf le Boudhié, avec sa capitale Bakoum, survécurent – miraculeusement – à cette décadence.
Si l’on se fie à la tradition orale – à la légende, si vous voulez ! – Sédhiou est née à la suite d’une ruse, ou d’un redoublement de ruses pour être plus juste. On raconte encore, à Sédhiou, que lorsque Dagorne fut de retour pour mettre en valeur les terres acquises naguère, le désormais maitre de Bakoum n’en, voulait plus. Ou, du moins, faisait semblant ! Pour faire fléchir en sa faveur l’homme fort de Bakoum, les français acceptèrent quasiment toutes les conditions imposées. Ils donnèrent nombre de présents pour festoyer et enivrer. Parmi les cadeaux reçus, il y eut beaucoup de présents, surtout d’eau de vie, de carbang djiyoo – une mauvaise prononciation de « l’eau de Carabane », Carabane, première localité où les Français s’établirent en Casamance. L’acte des français toucha le souverain qui finit par obtempérer. En retour, un taureau noir, sorte de totem des baïnoucks, fut sacrifié. Mais en tacticien retors, il voulut retirer – de manière diplomatique – l’accord conclu de la main gauche ce que son prédécesseur avait donné par la main droite. Sous ce rapport, après avoir offert une agape avec la chair de l’animal, il invita les français à ne prendre en compte que l’aire couverte par le derme de vache. Pour ne pas complexifier un problème déjà alambiqué, les français acceptèrent et rentrèrent avec la peau. Arrivé à Sédhiou au bord du fleuve, le colon en chef demanda qu’on lui lacérât la peau en telle enseigne qu’il eût une longue ficelle. Sur les lieux initialement prévus, il étala la longue cordelette de derme de vache obtenue : c’est l’espace qu’occupe à ce jour le Fort Pinet Laprade !
En procédant de la sorte, il déjoua l’ingéniosité du maitre de Bakoum par un redoublement de ruses. Il fit une pierre, deux coups : respecter l’accord de la surface couverte par la peau et recouvrer les 250 sur 100 mètres initialement négociés avec le prédécesseur du roi.
A LA NAISSANCE DE SEDHIOU : UN MYTHE FONDATEUR
En marge de l’histoire et de la légende retracées ci-dessus, une autre source de la tradition orale valide un autre récit. Pour celle-là, c’est plutôt un riche commerçant d’origine guinéenne du nom de Doura Sona Camara – qui avait déjà autorité sur les lieux – qui avait donné aval aux français d’avoir droit sur une superficie ne dépassant pas l’aire d’une peau de taureau. Et, toute l’histoire contée à propos de la peau du taureau lacérée est déroulée à la suite.
A la faveur d’une histoire par rapport à laquelle nombre de sédhiouois prêtent encore crédit, Doura Sona Camara ou son fils Sounkar Yiri Camara est le fondateur de Sédhiou. Ce sera selon ! Doura Camara qui s’était établi à Bouno avait également créé Bourama nding (devenu Tambanna Nding) et Bourama Baa ( devenu Tambanna Baa). Son fils avait voulu venir plus au nord pour y s’établir et enseigner le coran. Du moment qu’entre Bakoum et Pathiobor il y avait un vide, il s’en était ouvert au souverain de Bakoum. Les Baïnoucks qui étaient très versés dans les croyances mystiques avaient averti qu’il y avait un djin (diable) qui y vivait en maitre, raison pour laquelle ils avaient sauté l’enclave qu’est devenue la ville pour occuper la partie plus au sud, Pathiobor, pour l’agriculture. Camara livra une bataille épique contre le succube qui, sentant sa défaite prochaine, accepta de quitter Sédhiou à une condition : qu’on le laissât tranquille sur l’île qui portera son nom. En plus, si les fils de Sédhiou ne pourraient s’empêcher de venir troubler le repos de l’être maléfique, les aspects d’ordre environnemental y soient respectés : pas de déforestation, ne pas franchir les limites iliennes avec les fruits… Un gentleman agreement fut trouvé : le diable prit ses aises sur l’île, Sounkar Yiri s’établit finalement à Sédhiou, à Moricounda devenu 3e quartier de Sédhiou.
Où se trouve la vérité ? Doit-on accorder crédit à l’histoire, à la légende ou au mythe ? A vous de juger !
Pour ma part, je préfère juste féliciter les populations en disant aux sédhiouoises et sédhiouois : « joyeux anniversaire » !
Ibrahima Diakhaté Makama
makamadiakhate@gmail.com
Crédit photo. F.Mancabou
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