
Depuis plusieurs années, le taux de réussite au baccalauréat sénégalais est en chute, révélant des disparités criantes entre les académies, mais aussi entre les filles et les garçons. Chaque année, ce constat alarmant envahit les médias et les discussions publiques, sans qu’il ne s’accompagne d’une analyse scientifique approfondie de ses causes réelles, ni de mesures correctives concrètes.
Des Programmes obsolètes et inadaptés
Les acteurs du monde scolaire – enseignants, élèves, parents et syndicats – expriment régulièrement leur inquiétude face à des programmes jugés obsolètes, trop lourds et inadaptés. Souvent hérités d’une autre époque, ces contenus peinent à susciter l’intérêt des apprenants et s’avèrent difficilement assimilables dans le contexte actuel. Il est clair qu’ils ne prennent plus suffisamment en compte les évolutions sociales, culturelles et économiques, ni les besoins réels des jeunes Sénégalais.
La maîtrise de la langue française, un frein majeur
Un autre constat préoccupant est le niveau très faible des élèves à leur arrivée en classe de terminale, notamment en langue française. Or, la maîtrise de la langue est un outil fondamental pour comprendre les consignes, raisonner, argumenter et réussir dans toutes les disciplines. Cette insuffisance linguistique constitue un handicap transversal qui affecte l’ensemble des apprentissages, sapant les bases mêmes de la réussite scolaire.
Les défis de l’approche par compétences et des effectifs pléthoriques
La mise en œuvre de l’approche par compétences (APC), adoptée depuis plusieurs années, pose également des difficultés. Bien que cette approche vise à rendre les apprentissages plus concrets et durables, elle exige des enseignants une réorganisation profonde de leurs pratiques pédagogiques. Malheureusement, ces derniers ne bénéficient pas toujours d’un accompagnement adéquat ni de formations continues suffisantes pour en maîtriser les principes et les outils. Sans ce soutien, l’APC risque de rester une réforme théorique, appliquée de manière approximative, créant des incohérences entre les activités en classe et les évaluations du baccalauréat.
À cela s’ajoute la problématique des effectifs pléthoriques, avec des classes parfois composées de plus de soixante élèves. Une telle surcharge rend pratiquement impossible un suivi individualisé et compromet la qualité des interactions pédagogiques. Elle nuit également à la motivation des enseignants, souvent débordés, et fragilise le lien essentiel entre l’élève et le savoir.
Des disparités territoriales accablantes
La disparité entre les académies est un autre aspect préoccupant. Alors que l’académie de Dakar affiche régulièrement des taux de réussite proches ou légèrement supérieurs à la moyenne nationale, des académies comme Ziguinchor, Kolda ou Kaolack peinent à atteindre des résultats satisfaisants. Cette inégalité territoriale doit susciter des interrogations sérieuses et prendre en compte le contexte socio-économique local pour y remédier efficacement.
L’échec des garçons : Un nouveau défi
Dans cette dynamique préoccupante, un phénomène attire particulièrement l’attention : l’échec de plus en plus marqué des garçons. Depuis quelques années, les statistiques montrent que les filles réussissent mieux que les garçons, et ce de façon régulière. Deux explications peuvent être avancées. D’abord, les filles semblent adopter des comportements scolaires plus favorables à la réussite : elles sont souvent plus assidues, plus disciplinées, plus organisées et plus impliquées dans leur travail, une tendance confirmée par plusieurs études internationales (enquêtes PISA de l’OCDE, travaux de sociologues comme Baudelot, Establet ou Duru-Bellat). Ensuite, les politiques éducatives visant à promouvoir la scolarisation des filles – campagnes de sensibilisation, bourses, internats, concours « miss sciences-miss maths » – ont porté leurs fruits.
Cependant, cette réussite accrue des filles ne doit pas occulter une autre réalité : celle du décrochage progressif des garçons. Dans certains contextes, ces derniers semblent se désintéresser de l’école, adopter des comportements de retrait ou de défi, et ne bénéficient d’aucun programme spécifique pour les aider à se réengager dans le parcours scolaire. Si rien n’est fait, le système éducatif pourrait glisser d’un déséquilibre ancien à un nouveau déséquilibre, tout aussi injuste. Il devient alors urgent de réfléchir à des politiques éducatives qui, tout en poursuivant l’égalité entre les sexes, tiennent compte des besoins différenciés des élèves, qu’ils soient filles ou garçons.
L’école sénégalaise a besoin d’un sursaut collectif et d’une politique sérieuse. Ce qui se joue à travers les résultats du baccalauréat, ce n’est pas seulement la réussite individuelle des élèves, mais bien l’avenir du pays tout entier.
Omar Cissé
professeur de SVT au lycée Seydina Limamou Laye (LSLL) et spécialiste en ingénierie de la formation

