image_editor_output_image-1410791426-1740731600567.jpg

Au cœur des traditions séculaires du Manding, un système éducatif ancestral, enraciné dans la spiritualité islamique, a façonné des générations. Cette université traditionnelle, gardienne d’un savoir profond, conférait autrefois quatre grades distincts, symboles d’une maîtrise progressive : Arfang, Kang, Lalimo et Fodé. Bien que ces titres aient perdu leur reconnaissance formelle avec l’avènement de la colonisation occidentale, leur prestige demeure intact au sein des communautés qui perpétuent cet héritage.

Dans le paisible village de Pakao Kéracounda, situé dans la commune de Kolibantang ( département de Goudomp), un homme se distingue par sa maîtrise exceptionnelle de ces savoirs ancestraux : Fodé Konté. Son parcours, initié dès son plus jeune âge par l’étude du Coran, l’a conduit à gravir les échelons de cette université traditionnelle, incarnant ainsi la quintessence de la sagesse mandingue.

Un Parcours Initiatique Exemplaire, Reflet d’une Quête Spirituelle Intense

    Arfang : Les Fondements du Savoir


Fodé Konté a vu le jour à Kéracounda, au sein de la famille Malambacounda, une lignée appartenant à la tribu Sarassou, reconnue comme l’une des familles fondatrices du village. Son parcours éducatif a débuté par des études coraniques auprès de ses grands-parents dans le village voisin de Diareng où il a fait ses humanités. De retour à Kéracounda, il a poursuivi son apprentissage auprès des Daffé.

Dès ses premiers pas dans l’étude des textes sacrés, il a bénéficié du soutien et des conseils de son maître, Arfang Massy Daffé, le grand-père du prédicateur Oustaze Mahmoud Daffé. Fodé Konté a rapidement démontré un talent exceptionnel, ce qui lui a valu le titre d’Arfang. Ce titre, qui témoigne d’une maîtrise approfondie du Coran et des fondements des sciences islamiques, a marqué le début d’un cheminement spirituel exigeant pour Fodé Konté.


    Kang ou l’Oustaze : L’Émergence du Guide Spirituel

Depuis les années 1980, cet homme exceptionnel a consacré sa vie à l’éducation et à la transmission du savoir dans son village. Sa profonde maîtrise du Tafsir, l’interprétation du Coran, et du Nahw, la grammaire arabe, lui a valu le respect et l’admiration de sa communauté, qui l’a honoré des titres de Kang et d’Oustaze.

Devenu un véritable guide spirituel et intellectuel pour les jeunes de son village au côté d’Arfang Abou Daffé (qui réside maintenant en Gambie), il a partagé son savoir avec une passion communicative, inspirant des générations entières. Aujourd’hui, son nom, Fodé, est indissociable de son titre d’Oustaze, et il est affectueusement connu de tous sous le nom d’Oustaze Fodé.

Au cours de plus de quarante années d’enseignement dévoué, il a façonné l’esprit de presque tous les jeunes de son village. Comme le dit un proverbe local, « S’il ne t’a pas formé, c’est qu’il a formé ton formateur. » Sa pédagogie unique, empreinte de bienveillance et de sagesse, a fait de lui bien plus qu’un simple enseignant. Il était à la fois l’ami, le frère, l’oncle et le père de ses élèves, tissant des liens indéfectibles avec eux.

Oustaze Fodé ne se contentait pas d’enseigner dans les salles de classe. Il participait activement à la vie de sa communauté, se mêlant aux activités des jeunes et partageant leurs passions. Il était d’ailleurs un footballeur talentueux, reconnu comme l’un des trois meilleurs joueurs de tous les temps du village. Attaquant puissant et redouté, il était surnommé Bocandé, en hommage au célèbre footballeur sénégalais Jules François Bocandé.

Son engagement envers l’éducation ne connaissait pas de limites. Il a rapidement mis en place une école arabe, la madarassa, où il dispensait un enseignement moderne tout en perpétuant la tradition coranique du Karanta. Il collaborait également avec les Oustazes des villages voisins, partageant son expertise et contribuant à l’essor de l’éducation religieuse dans la région.

Son influence s’étendait bien au-delà de son village natal. Oustaze Fodé a enseigné dans plusieurs autres villages, dont Karcia, où il a passé trois années mémorables. Une anecdote illustre son impact profond sur ses élèves : « Depuis que j’ai quitté Karcia, mes élèves ont menacé de cesser les cours tant que je ne reviens pas. »

Il a également vécu et enseigné pendant plus de 3 ans à Moyafara, où il avait déménagé avec sa famille, avant de revenir à son village d’origine, Kéracounda. Son parcours exceptionnel témoigne de son dévouement inlassable à l’éducation et de son amour profond pour sa communauté.

    Lalimo : Le Juge Sage et Équitable

Sa connaissance approfondie du droit islamique (Fiqh) et de l’exégèse coranique lui a permis de s’imposer comme un Lalimo respecté. En cas de litiges, sa sagesse et son sens aigu de la justice sont sollicités pour rétablir l’harmonie au sein de la communauté.

    Le Fodé du village : L’Apogée de la Sagesse Spirituelle et Juridique

Aujourd’hui, l’homme qui a reçu le nom de Fodé à sa naissance est reconnu comme un Fodé, le titre le plus élevé de l’université mandingue. Cette reconnaissance témoigne de sa maîtrise approfondie des dimensions apparentes (Zahir) et cachées (Bâtin) du Coran, ainsi que de sa capacité à appliquer la méthodologie juridique islamique avec une perspicacité rare et remarquable. Son retour au village, quittant Moyafara, était une demande sociale pressante. L’imam du village de l’époque, Arfang Abdoulaye Dabo, oncle paternel de l’actuel Imam (Ahmadou Bamba Dabo), en a fait un combat personnel. Il a lancé des appels tant en privé qu’en public, notamment à la mosquée. Fodé est revenu et a immédiatement pris en charge la gestion intérimaire de l’imam, car ce dernier était vieillissant et fatigué, jusqu’à son décès en 2016.


Un Héritage Vivant, Témoignage d’une Tradition Millénaire

Fodé Konté s’inscrit dans la lignée prestigieuse des érudits qui ont façonné l’histoire de Kéracounda, à l’instar de figures emblématiques telles que Cheikh Ibrahima Dabo, Falmamo, Arfang Wassa Konté, Arfang Sadioba Dabo, le regretté Cheikh Abou Daffé fils d’Arfang Lang Daffé, Arfang Sadou Seydi et bien d’autres. Il incarne ainsi l’héritage d’une tradition millénaire, celle de l’université mandingue, un centre de savoir ancestral réputé pour la richesse de ses enseignements.

Tel un gardien du temple, Fodé Konté se consacre à la préservation et à la transmission de ces connaissances ancestrales, perpétuant ainsi un héritage culturel d’une valeur inestimable. Son parcours exemplaire témoigne de la profondeur et de la richesse de cette tradition, soulignant son importance cruciale pour la communauté de Kéracounda et au-delà.

En effet, l’université mandingue, dont Fodé Konté est l’un des dépositaires, a joué un rôle essentiel dans le développement intellectuel et spirituel de la région. Ses enseignements, transmis de génération en génération, ont contribué à façonner l’identité culturelle de la communauté et à préserver son patrimoine historique.

Ainsi, Fodé Konté, à travers son engagement et son dévouement, perpétue l’œuvre des grands savants qui l’ont précédé, assurant ainsi la pérennité d’une tradition millénaire et la transmission d’un savoir ancestral précieux pour les générations futures.

Les Grades de l’Université Mandingue : Une Hiérarchie du Savoir

   ✓ Fodé : Maître spirituel, détenteur d’une connaissance profonde des enseignements coraniques et de leur application pratique.
   ✓ Lalimo : Juriste, médiateur et conseiller juridique, garant de l’équité et de l’harmonie sociale.
  ✓  Kang : Enseignant, spécialiste de l’interprétation du Coran et de la grammaire arabe, transmetteur du savoir aux générations futures.
  ✓  Arfang : Étudiant ayant achevé l’étude du Coran, maître des sciences islamiques de base, souvent consulté pour ses connaissances ésotériques.

Arfang Lang Konté