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Histoire de Battling Siki, le sénégalais, premier africain champion du monde de boxe

« Tous les connaisseurs savent que Francis a gagné  » avait réagi Cédric Doumbe après le combat polémique opposant son compatriote camerounais au champion du monde, l’anglais Tyson Fury. D’autres internautes dénoncent du racisme ou d’un combat truqué. Ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui dans ce milieu. Battling Siki, un boxeur du début des années 1920, héros sénégalais et fierté africaine était le premier à tenir tête et à refuser un combat d’arrangement. Il est allé jusqu’au bout, avec le soutien du public, pour deviner champion du monde de boxe.

Qui est Battling Siki ?

De son vrai nom Amadou Mbarick Fall ou Louis Fall « Battling Siki » naît en septembre 1897, à St-Louis au Sénégal. Arrivé en France au début de l’adolescence, (selon la rumeur en tant que domestique d’une actrice française qui l’avait pris à son service), il commence à gagner sa vie de façon indépendante en travaillant comme plongeur dans une brasserie à Marseille, puis démarre dans le monde la boxe à l’âge de 15 ans. Après avoir choisi son nom de ring, Battling Siki, l’adolescent effectue des combats pour quelques francs dans le sud de la France. Selon son cousin Oumar Sarr, Amadou Fall était surnommé Baye Fall et se fait surtout connaître sous son nom de ring « Battling Siki ». Le nom de Siki serait la déformation du terme Siggil ! qu’il lançait aux boxeurs qu’il entraînait et qui veut dire en wolof (sa langue maternelle), « Relève la tête ! ».

Selon Peter Benson, le fils d’Oulimata et Assane Fall se voit attribuer le prénom d’Amadou lors de sa cérémonie religieuse mais l’enfant serait rapidement appelé par tous M’barick, un prénom d’origine toucouleure. Pour le New York Times et Nat Fleischer, des tirailleurs sénégalais surnomment l’enfant Baye. En 1922, c’est cette identité que Battling Siki évoque à la presse parisienne : « Je suis né à Saint-Louis du Sénégal le 16 décembre 1899 ; alors ne me vieillissez pas, et, mon vrai nom, c’est Baye Fall ; Baye en sénégalais, se traduit en français par Louis. »

De 1912 à 1914, il livre 16 combats (8 victoires, 6 nuls, 2 défaites). Sa carrière est interrompue par la première guerre mondiale. Incorporé comme soldat, Siki est décoré de la croix de guerre et reçoit la médaille militaire.

Ascension spectaculaire
Il reprend sa carrière en 1919. Au théâtre des Nouveautés, Battling Siki remet les gants dans un combat officiel et envoie l’ancien champion de France Eugène Stuber au sol pour le compte dans la deuxième reprise. Le 29 décembre, il affronte Félix Léonard, présenté comme le champion de la Côte d’Azur, et le domine grâce à son jeu de jambes. La décision d’arbitrage revient à son adversaire, malgré les protestations de la foule. Deux semaines plus tard, il prend sa revanche face au Marseillais Henrys.
Le 16 février 1920, le Sénégalais, non classé, affronte Jean Audouy, un boxeur classé en première série par la Fédération française de boxe. Face à son ancien entraîneur, qui l’avait battu avant la guerre, Siki prend sa revanche et force l’arrêt du combat au quatrième round. Lorsque les promoteurs parisiens apprennent qu’un homme a mis Audouy hors combat en quatre reprises à Toulouse, ils se précipitent pour le faire venir à Paris. Il enchaîne 43 victoires, 2 nuls et 1 défaite (au 15è round contre Tom Berry à Rotterdam) en 46 rencontres au cours des 4 années suivantes.

François Deschamps, le manager du champion du monde des poids mi-lourds, Georges Carpentier, a assisté à la victoire de Siki sur Marcel Nilles et pense que Siki sera un adversaire « à la portée » de Carpentier. Le combat a lieu le 22 septembre 1922, et Siki est le premier boxeur noir depuis 7 ans à disputer un championnat du monde de boxe.

Carpentier, l’idole de toute la France, boxe pour la première fois au pays depuis 3 ans. Siki semble être un parfait faire-valoir. 40 000 personnes sont massées au stade Buffalo de Montrouge pour assister au spectacle. Le début du combat semble donner raison au manager de Carpentier puisque Siki va deux fois « au tapis » lors des deux premiers rounds. Carpentier, grisé par le début du combat aurait prononcé la fameuse phrase : « dépêchons nous donc, il va pleuvoir » ! Siki retrouve son punch lors du troisième round,au cours duquel il envoie Carpentier au tapis. A partir de ce moment, Siki domine le combat et l’ironie change de camp lorsqu’il chambre Carpentier en lui disant « vous ne frappez pas très fort monsieur Georges » ! Au 6è round, Siki envoie définitivement Carpentier au tapis en lui assénant un uppercut du droit. L’arbitre disqualifie dans un premier temps Siki pour une obscure raison, avant de revenir sur sa décision 20 minutes plus tard, sous la pression de la foule qui manifeste sa désapprobation, prenant fait et cause pour Siki dont la victoire est nette. Siki, (qui est français puisque le Sénégal est à l’époque une colonie française), devient le premier africain champion du monde de boxe. Le manager de Carpentier fait appel le 26 septembre, prétextant une « faute » sur son poulain. L’appel est rejeté.

Polémique sur un potentiel arrangement
Il était dit que ce combat Carpentier-Siki serait extraordinaire à tous points de vue. Trois mois après son combat royal contre Carpentier, on apprend de la bouche du vainqueur qu’il était prévu qu’il devait se coucher au quatrième round en échange d’une somme rondelette (200 000 francs) versée à son manager, qui lui aurait rétrocédé quelques billets. Le match n’aurait été conclu avec le clan Carpentier qu’à cette condition. Mis dans la confidence quinze jours avant le combat, Siki raconte les affres qui l’ont écartelé jusque sur le ring. «Le jour du match, j’étais très indécis et avais presque envie de faire le jeu qui avait été convenu entre Hellers et Descamps [son manager et celui de Carpentier, ndlr].» Tiraillé entre son amour-propre et la perspective d’un argent facile, Battling Siki raconte avoir oscillé entre soumission et révolte sur le ring, au point de se faire copieusement insulter par son manager, alarmé de voir son boxeur ne pas respecter le scénario prévu. Finalement, il décide de se battre : «Avant la reprise du sixième round, Carpentier s’est porté sur ma chaise et m’a frappé alors que j’étais encore assis. Voyant cela, je suis parti comme un fou et j’ai cherché à le descendre.» Quelques semaines après son triomphe, la Fédération française de boxe le suspend neuf mois et le destitue de ses titres français pour une incartade. Rétrospectivement, on est forcé de s’interroger : Battling Siki a-t-il payé d’une suspension le fait de ne pas avoir respecté le deal passé entre son entourage et celui de Carpentier avant le combat ? Le cas Siki devient une histoire politique. Slate rappelle qu’à l’Assemblée, le député Blaise Diagne, également originaire du Sénégal, prend la défense du boxeur : «C’est pour n’avoir pas obéi aux directives de ceux qui, en organisant des spectacles truqués, enlèvent son argent au public que ce garçon qui, saisi par le sentiment de sa force, n’a pas voulu s’étaler à la quatrième reprise devant Carpentier a été condamné en France à crever de faim.» Dans son intervention à la tribune, le député du Sénégal avance qu’il a la preuve que le résultat de la rencontre Siki-Carpentier était réglé avant la rencontre par les deux managers et que Battling Siki devait se coucher dans la quatrième reprise. Balise Diagne dépose un amendement tendant à supprimer la subvention accordée à la Fédération française de boxe. Il sera finalement réintégré mais il est définitivement indésirable en France.

Victime de racisme
Malgré une certaine popularité, (une de ses apparitions publiques à Paris provoque des attroupements pendant plus d’une heure), Siki n’échappe pas au racisme. Certains journaux l’appellent le »championzee » ou « l’enfant de la jungle ». Un autre journal, « l’intransigeant », publie un récit dont le titre est : « Siki donnerait la moitié de ses victoires pour devenir blanc ». Le manager de Siki n’est pas en reste puisqu’il déclare dans la presse que « Siki a du singe en lui ». Le boxeur africain répond aux attaques en disant que « beaucoup de journalistes ont écrit que j’avais un style issu de la jungle , que j’étais un chimpanzé à qui on avait appris à porter des gants. Ce genre de commentaires me font mal. J’ai toujours vécu dans de grandes villes. Je n’ai jamais vu la jungle. »

Malgré ce court moment d’introspection, Siki ne prête pas trop attention à ce qui s’écrit dans les journaux, et profite de la vie. Selon la légende, il lui arrive de se balader dans les rues de Paris en tenant un lion en laisse (!), de tirer quelques coups de feu en l’air après avoir abusé de liqueurs dans les plus célèbres clubs et restaurants de Paris. Il aime l’alcool, les vêtements extravagants et les femmes blanches (ses deux femmes seront d’ailleurs blanches), ce qui n’est pas toujours bien vu à l’époque.

Descente aux enfers
Battling Siki remet son titre en jeu contre un boxeur irlandais, en Irlande, le jour de la St-Patrick, en pleine apogée de la guerre civile irlandaise. Des coups de feu et des explosions se produisant à l’extérieur de la salle sont audibles pendant le combat. Toujours est-il que sur le ring, Mike Mc Tigues est déclaré vainqueur par les arbitres après un match très serré qui est allé jusqu’à 20 rounds et sa victoire, selon les observateurs, n’est pas due à un « arbitrage à domicile ».

A la suite de cette défaite, Siki perd un autre combat contre Emile Morelle, cette fois par disqualification, et du même coup ses titres de champion d’Europe et de France. Il enchaîne malgré tout par deux victoires par KO en France avant d’émigrer vers les Etats-Unis où il dispute son premier combat (perdu en 15 rounds) en terre américaine en novembre 1923. Il connaît également la défaite dans un autre combat un mois plus tard. En 1925, Siki laissa définitivement passer la chance de faire redémarrer sa carrière en perdant en 10 rounds contre Paul Berlenbach. Il dispute 25 combats entre novembre 1923 et novembre 1925. Il se retire avec un palmarès de 61 victoires, 24 défaites et 4 nuls, selon le site de référence BoxRec.

Mort tragique
Batling Siki est mort assassiné à New York aux Etats Unis en 1925. Abattu de balles dans le dos, tirées de près, son assassinat ne fait aucun doute.

Le 15 décembre 1925, Louis Fall « Battling Siki », qui était sorti en disant à sa femme qu’il allait « faire un tour avec des amis » est retrouvé mort, au pied d’un immeuble de la 41è rue, dans le quartier de « Hell’s Kitchen », près de chez lui. Il n’avait que 28 ans.

Trois jours plus tard, lors de son enterrement, le révérend Adam Clayton Powell Sr. blâme la société : « Aucun homme venu d’Afrique n’a eu une vie plus dramatique et une mort aussi tragique. Les deux erreurs de sa vie ont été son manque d’études et d’une cause noble. Notre civilisation est sûrement plus responsable de ces erreurs qu’il ne l’était. […] Il aurait pu mettre son incroyable vigueur au service du bien, mais on lui a permis de vivre sauvagement, comme de l’électricité incontrôlée et non dirigée, et il a laissé des cicatrices sur le corps de notre civilisation d’une manière qui doit nous faire honte à tous »

Pour Eduardo Arroyo, auteur d’un livre retraçant la carrière du boxeur noir « Panama » Al Brown (1902-1951), Siki a été tué car il se permettait là-bas ce qui lui était interdit : « il aimait les femmes blanches, les voitures blanches, les chiens blancs, le jazz et le champagne. C’était trop d’insolence et de nargue ». ( pour les racistes à l’époque). Quand Alfonso apprit la nouvelle de l’assassinat de l’ex-champion du monde, il comprit vite qu’était arrivée l’heure de changer de lieu, d’émigrer vers le vieux continent, de quitter Harlem. (…)
Et Non Louis Battling Siki n’était pas comme Joe Gans qui savait rester modeste et calme dans son coin, essayant toujours de passer inaperçu. De Battling Siki, on ne pouvait pas dire : « he is the withest nigger ».

En 1993, les ossements de Battling Siki auparavant entreposés dans une fosse commune de New York sont rapatriés au Sénégal à l’instigation de José Sulaimán, alors président de la World Boxing Council (WBC).


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