L’opposant politique au président Macky Sall a été inculpé lundi pour divers crimes et écroué, provoquant la colère de ses partisans et des heurts avec les forces de l’ordre. Au moins trois personnes sont mortes lors des manifestations.
Ce sont des images qui reviennent à chaque nouveau volet judiciaire impliquant Ousmane Sonko. Barricades de pneus en feu, jets de projectiles, tirs de gaz lacrymogène… Depuis lundi au Sénégal et le placement en détention du plus farouche opposant au président Macky Sall, la situation est de plus en plus tendue. Trois personnes sont mortes dans les manifestations qui ont suivi cette décision de justice.
Dans la foulée de celle-ci, la suspension d’Internet sur les téléphones portables et la dissolution du Pastef, le parti politique de Sonko, par le gouvernement, ont contribué à mettre de l’huile sur le feu.
Les autorités craignent de revivre les émeutes de début juin, déclenchées par l’ouverture d’un procès impliquant l’opposant politique, et qui ont fait seize morts et des centaines de blessés – les plus meurtrières depuis des années. Mais aussi celles de mars 2021, au moment de son arrestation dans cette affaire, durant lesquelles quatorze personnes avaient été tuées.
Pourquoi Ousmane Sonko a-t-il été écroué ?
Arrêté vendredi alors qu’il était chez lui à Cité keur Gorgui (Dakar), Ousmane Sonko, 49 ans, a été inculpé et placé sous mandat de dépôt lundi pour divers crimes. Parmi les faits qui lui sont reprochés, « appel à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’État, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste » et « complot contre l’autorité de l’État ».
La justice le tient lui et son parti responsables des morts lors des manifestations qui se sont déroulées entre mars 2021 et juin 2023. C’est pourquoi le ministère de l’Intérieur a prononcé simultanément la dissolution des Patriotes africains du Sénégal pour l’éthique, le travail et la fraternité (Pastef). Dans son communiqué, il évoque ses appels « fréquents » à des « mouvements insurrectionnels » qui ont entraîné « des pertes en vies humaines », mais aussi des « actes de saccage et de pillage de biens publics et privés ».
Il s’agit de la troisième procédure judiciaire dans laquelle l’opposant politique est mis en cause. Le 1er juin, il avait été condamné à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse » dans un procès pour viol et menace de mort, deux charges pour lesquelles il a été acquitté. Selon le procureur, son inculpation de lundi n’a « rien à voir » avec cette procédure.
L’ancien député, arrivé troisième à la présidentielle de 2019 et candidat à celle de 2024, avait aussi été condamné le 8 mai à six mois de prison avec sursis à l’issue d’un procès en appel pour diffamation.
Sa participation à la présidentielle compromise
Tous ces démêlés avec la justice compromettent sérieusement sa participation au scrutin de 2024. Toutes les peines prononcées devraient le rendre inéligible, sauf si le Conseil constitutionnel décide d’autoriser sa candidature.
Depuis le début, Ousmane Sonko et ses partisans dénoncent un complot politique du président Macky Sall pour l’écarter du pouvoir. L’actuel chef de l’État, à la tête du pays du 2012, a récemment annoncé qu’il ne serait pas candidat à sa réélection, alors qu’il avait entretenu le flou pendant des mois, suscitant de vives tensions avec l’opinion publique et l’opposition.
En tant que figure montante de la scène politique sénégalaise, Ousmane Sonko a le soutien d’une importante partie de la population, en particulier de la jeunesse qu’il a su galvaniser par ses discours antisystèmes.
Dimanche, il a annoncé sur les réseaux sociaux entamer une grève de la faim. Il a aussi appelé le peuple à « rester debout » et à « résister ». « Ce n’est surtout pas le moment de faiblir car la victoire n’a jamais été aussi proche », a-t-il ajouté. Ses appels ont été entendus par ses partisans.
Que réclament les manifestants ?
Des heurts ont éclaté dès lundi après-midi dans certains quartiers de Dakar mais surtout à Ziguinchor, le fief d’Ousmane Sonko. C’est là que « deux corps sans vie » ont été découverts, selon un communiqué du ministère de l’Intérieur sénégalais, mais sans précision sur les circonstances. Un troisième décès a été recensé à Pikine, dans la banlieue de la capitale, selon CartograFreeSenegal, un consortium de journalistes et d’activistes qui met à jour le bilan humain depuis les troubles de juin.
Lors des émeutes de lundi, des pneus ont été brûlés et des barricades de pierres érigées sur la chaussée, tandis que des slogans tels que « Libérez Sonko ! » ont été scandés. La police a dispersé les manifestants à coups de gaz lacrymogène.
En réaction aux nombreux appels à manifester pour demander la libération de l’homme politique, les autorités sénégalaises ont annoncé lundi couper l’accès à Internet sur les téléphones mobiles « sur certaines plages horaires », en raison de « la diffusion de messages haineux et subversifs » sur les réseaux sociaux. Amnesty International a dénoncé sur Twitter une « atteinte à la liberté d’information et d’expression ».
De leur côté, les ressortissants français, plus de 21 000 au pays de la Teranga, ont reçu des messages du consulat français, les invitant à « rester vigilant lors des déplacements » et à « rester à l’écart des rassemblements ». « Pour le moment ça va, mais à suivre les prochains jours », confie une expatriée tricolore depuis Dakar, où elle est installée depuis deux ans.
La crainte d’affrontements jusqu’à la présidentielle
Malgré les restrictions d’Internet sur les téléphones, de nouveaux heurts ont été observés mardi. Les autorités craignent une spirale de crise jusqu’à la présidentielle, qui a lieu en janvier 2024. « L’un des scénarios crédibles qui se profile, ce sont des troubles publics jusqu’au scrutin », confirme Caroline Roussy, directrice de recherches à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) chargée du programme Afrique, sollicitée par Le Parisien.
L’accalmie pourrait dépendre de la participation ou non d’Ousmane Sonko. « Il faudra attendre de voir si le Conseil constitutionnel l’autorise ou non à participer malgré ses condamnations », indique Caroline Roussy. « On peut aussi s’attendre à ce que les gens considèrent qu’avec Sonko condamné, la bataille est terminée et ne voient plus l’intérêt de descendre dans la rue pour le défendre. Il y a potentiellement des gens qui en ont assez de ces manifestations. »
Ousmane Sonko avait récemment assuré que personne ne pourrait l’empêcher de se présenter, promettant à défaut d’installer « le chaos » dans le pays.
Source : LeParisien
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